DIF: le début de la fin
Régulièrement, les gouvernements en place affirment haut et fort qu’il faut réformer la formation professionnelle, et que eux vont (enfin) le faire. Chacun sa technique: commissions interministérielles, concertations entre partenaires sociaux, rapports de la Cour des Comptes… la boîte à outils est bien fournie. Mais une chose est sûre: jusqu’ ici, ni les coups de menton énergiques des uns, ni les plats consensus des autres n’ont réussi à assainir ni même simplifier l’usine à gaz que représente la formation continue en France. Comme le montrera sans doute avec brio la très bonne émission Cash Investigation ce soir sur France 2, le financement de la formation est tout sauf transparent, et on tient bien là une des clés du problème. L’obligation faite aux entreprises de former leurs salariés, et donc de cotiser à un fonds (OPCA) chargé de valider et financer les formations jugées utiles est une spécificité française qui au fur et à mesure de l’empilement des dispositifs a accouché d’un système opaque et complexe où toutes les dérives sont possibles.
Je ne rentrerai pas ici dans des détails ennuyeux et renverrai les curieux à l’émission de ce soir et à ce rapport qui pointe de manière assez claire les incohérences du mode de financement actuel et anticipe les écueils auquel va être confronté le gouvernement au moment où il devra arbitrer les grandes lignes de sa réforme. Un point qui par contre devrait concerner (presque) tout le monde et a le mérite d’illustrer parfaitement le problème, c’est le cas du DIF.
Dans la jungle des sigles abscons et mystérieux (FSPP, OPCA, AFPA, FONGECIF…), il était celui qui avait réussi à se faire un nom. Eh bien croyez-le ou non, le Droit Individuel à la Formation, qui allait fêter ses 10 ans et commençait à être connu et (enfin) utilisé par les salariés, va être supprimé. Ce dispositif, qui permet à tout salarié en CDI de bénéficier de 20h de formation par an, (cumulables d’une année sur l’autre dans la limite de 120h) était certes imparfait, mal expliqué et sous-financé (ce droit nouveau avait été créé sans financement spécifique…no comment), il avait néanmoins permis à certains salariés (pas assez) de commencer à devenir acteurs de leur formation, rôle jusqu’alors exclusivement réservé à l’employeur via le Plan de Formation de l’entreprise. L’objectif était de donner la possibilité à chacun de suivre une formation de son choix (et donc pas nécessairement rentable pour l’employeur actuel à court terme) avec le prestataire de son choix (et non plus seulement avec LE centre de formation généraliste partenaire de l’entreprise ayant négocié au préalable les tarifs), pour par exemple pouvoir mieux maîtriser certains logiciels de bureautique ou améliorer ses compétences linguistiques (exemple choisi au hasard). C’est-à-dire pour élargir ou améliorer ses compétences professionnelles au sens large, au-delà de ce qui est demandé dans un poste X à un moment T. Si les difficultés de réalisation effective de ce droit et les inégalités entre entreprises ou entre salariés sont un fait indéniable, le dispositif avait au moins le mérite d’aller dans la bonne direction en prenant en compte l’évolution des carrières qui exige de tout salarié d’être dorénavant prêt à tout moment à changer de job, de boîte, de cadre voire de secteur professionnel. Malgré les difficultés et les modalités de fonctionnement délibérément obscures dans certaines entreprises, il était possible d’utiliser ce droit pour continuer à se former tout en étant en poste.(*)
Le DIF est mort, vive le CPF!
Fort du consensus autour de la nécessité de repenser les missions de la formation professionnelle et ses modes de financement, le gouvernement a annoncé la future création d’un Compte Personnel de Formation (CPF) ayant pour vocation de remplacer le DIF à l’horizon 2014 avec deux nouveautés: une meilleure transférabilité des droits en cas de rupture de contrat, et la possibilité de mixer plus facilement les heures du CPF avec un complément financé par la Région ou les collectivités locales le cas échéant. Un joli lifting permettant de communiquer efficacement (enfin, tout est relatif…) sur le soutien apporté aux demandeurs d’emploi, aux reconversions nécessaires et à l’effort de formation tout au long de la vie…
Là où le bât blesse, c’est qu’une nouvelle fois, on annonce un droit nouveau sans apporter les moyens nécessaires.
On peut donc imaginer que les fonds dédiés à la formation des chômeurs vont être augmentés de façon conséquente (c’est la tendance qui se dégage des arbitrages en cours), avec une participation plus importante des OPCA (et donc des entreprises) via les fonds dits mutualisés (la part des cotisations patronales de formation qui va au « pot commun ») au détriment du DIF prioritaire financé par ces mêmes OPCA sur ces mêmes fonds mutualisés. Le DIF dit « proritaire », c’est un financement mutualisé sur l’ensemble d’une branche professionnelle pour des formations dont les thématiques sont considérées comme pertinentes pour les acteurs de ce secteur. Ce qui permet par exemple de se faire financer via son crédit DIF une formation en langues vivantes (encore au hasard) par l’AFDAS (OPCA du spectacle) lorsque l’on travaille dans l’audiovisuel, même si cela n’est pas utile à court terme à son employeur du moment.
Avec la réforme qui se profile, les fonds mutualisés seront redirigés en grande partie vers le soutien aux publics en difficultés, et donc moins présents pour soutenir ces priorités définies collectivement pour financer le CPF (ex-DIF). Les salariés risquent donc de devoir s’en remettre presque exclusivement au bon vouloir (et à l’intérêt à court terme) de leur employeur (et de son Plan de Formation) pour le financement d’une formation demandée individuellement via le CPF (ex-DIF). Autrement dit, les heures DIF non utilisées d’ici un an seront transférées sur le nouveau CPF (Compte Personnel de Formation), mais sans garantie que ces heures puissent concrètement se transformer en modules de formation réels faute de financement, tout du moins pendant la période d’activité du salarié. Un droit nouveau sans financement afférent derrière, cela ne vous rappelle rien? Le droit opposable au logement, c’était quoi, déjà?
Pour ceux qui souhaiteraient à terme utiliser leur crédit DIF pour des formations courtes leur permettant d’étoffer ou d’entretenir leurs aptitudes professionnelles, dépêchez-vous donc de faire jouer votre DIF avant que le carrosse ne se transforme en citrouille…ou bien attendez patiemment d’être en « inter-contrats » pour que l’Etat bienveillant vienne (peut-être) vous prêter secours!
(*) Il vaut toujours mieux utiliser son DIF tant que l’on est en poste, car lorsque l’on se retrouve en « recherche active d’emploi », les heures de DIF sont pour ainsi dire perdues! En effet, elles sont alors transformées en chèque formation d’un montant égal au nombre d’heures du crédit DIF multiplié par…9,80€. C’est-à-dire trois fois rien, quand on sait qu’une formation individuelle ou en petit groupe est habituellement facturée entre 40€ et 100€/h. C’est ce qui s’appelle la « transférabilité » du DIF, magistrale entourloupe que l’on découvre au pire des moments, c’est-à-dire lorsque l’on en a le plus besoin. Alors bien sûr, Pole Emploi, les OPCA et les collectivités locales financent des formations pour les chômeurs sur des fonds spécifiques, et les sommes sont même parfois conséquentes. Mais il s’agit la plupart du temps de formations longues et/ou qualifiantes, tout autre chose que les modules visés par le DIF. Exit donc le module Excel ou le perfectionnement en anglais.
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